Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/147

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est surtout le Détail de la France et le Factum qui ont fait la renommée de Boisguilbert. Cependant le Traité de la nature, culture, commerce et intérêt des grains et surtout la Dissertation sur la nature des richesses, de l’argent et des tributs n’ont pas une moindre portée, tout au contraire.

Ce dernier ouvrage, en ajoutant au titre ces mots : « Où l’on découvre la fausse idée qui règne dans le monde à l’égard de ces trois articles (richesses, argent et tributs) », paraît annoncer bruyamment la nécessité d’une révolution dans les doctrines. C’est ici qu’il n’est pas exagéré de dire que Boisguilbert est le prédécesseur direct de Quesnay et qu’il mérite de prendre rang parmi les fondateurs de l’économie politique libérale. Comme Quesnay, il proteste contre l’équation de la richesse et de la monnaie. Il accuse cette formule d’avoir « fait plus de destructions que les plus grands ennemis étrangers pourraient jamais causer par leurs ravages[1] » : et il ne regarde l’argent que comme un moyen d’échanger les denrées entre elles, tandis que la véritable richesse, selon lui, consiste « en une jouissance entière, non seulement des besoins de la vie, mais même de tout le superflu[2] ». Comme Quesnay, il prend nettement parti pour les cultivateurs, et il croit à la nécessité de chercher dans l’exportation des blés l’unique soulagement aux souffrances des classes rurales. Comme Quesnay

  1. Dissertation sur les richesses, ch. II, p. 374 de l’édition Daire.
  2. Ibid., ch. v, p. 285. — « Dans la richesse, qui n’est autre chose que le pouvoir de se procurer l’entretien commode de la vie, tant pour le nécessaire que pour le superflu (étant indifférent au bout de l’année, à celui qui l’a passée dans l’abondance, de songer s’il s’est procuré ses commodités avec peu ou beaucoup d’argent), l’argent n’est que le moyen et l’acheminement, au lieu que les denrées utiles à la vie sont la fin et le but. Ainsi un pays peut être riche sans beaucoup d’argent, et celui qui n’a que de l’argent, très misérable, s’il ne le peut échanger que difficilement avec ces mêmes denrées » (Détail de la France, IIe partie, ch. XVIII) ; — « L’argent n’est donc rien moins qu’un principe de richesse dans les contrées où il n’est point, le fruit du pays : il n’est que le lien du commerce et le gage de la tradition future des échanges » (ibid., IIIe partie, ch. IV). — Voyez aussi Nature des richesses, ch. II.