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Comment se fait-il donc que Vauban ait été pris pour un initiateur de l’économie politique libérale et pour le précurseur des physiocrates[1] ?

Faut-il expliquer ce jugement par la sollicitude aussi vive que sincère que Vauban témoignait pour les classes inférieures et surtout pour les paysans[2] ?

Mais là n’est point le critérium : et maint passage de la correspondance de Colbert, si dur cependant pour la mendicité fainéante comme aussi pour toute contravention à son système, atteste un égal intérêt pour la cause des travailleurs honnêtes et dociles.

Faut-il davantage expliquer l’erreur traditionnelle sur Vauban par une méprise sur une définition mal lue de la richesse, définition où Vauban faisait consister celle-ci dans « l’abondance des denrées dont l’usage est si nécessaire au soutien de la vie des hommes, qui ne sauraient s’en passer[3] » ? Mais l’erreur, ici, ne serait pas moins grande : non seulement, en effet, Vauban, dans la ligne suivante, nous montrera les étrangers « obligés de venir

  1. Blanqui (Histoire de l’économie politique, t. II, p. 12) le présente comme donnant « les principales bases de la science économique ». Daire, en s’appropriant le mot de Blanqui (Collection des principaux économistes, t. I, Notice sur Vauban, p. 26), félicite Vauban d’avoir « jeté les premières bases d’une science qui devait apprendre au monde que l’industrie est le seul fondement durable de la puissance des États et que les peuples, au lieu de gagner quelque chose à un système de massacres et de pillages perpétuels, ont au contraire le plus grand intérêt à leur prospérité respective » (Ibid, p. 11 ; item, note sur la Dîme royale, p. 50). — Espinas et Ingram, disciples fidèles de la légende, mettent simplement Vauban et Boisguilbert sur la même ligne l’un que l’autre, sans se douter de l’abîme qui sépare le continuateur de Colbert de l’ancêtre de Quesnay. Seul peut-être M. Fournier de Flaix tient Vauban pour fort différent de Boisguilbert, au moins en matière fiscale (Fournier de Flaix, Réforme de l’impôt en France, t. I, Théories fiscales et impôts en France et en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles, pp. 118 et 125).
  2. Dîme royale, édition Daire, pp. 36, 45, 47, etc., etc. — C’est le rapporteur du concours ouvert à l’Académie, M.. Léon Say, qui, péniblement surpris de voir sortir un Vauban sensiblement autre que celui que présentait la légende et qu’attendait l’Académie, a cherché à faire de cette sympathie pour le peuple un motif de regarder Vauban comme le « précurseur des économistes financiers du XVIIIe siècle » (voyez dans Michel et Liesse, Vauban économiste, pp. 3, 8, 9 et 10).
  3. Dîme royale, édition Daire, p. 50.