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nous pensons qu’il convient ici de discuter cette tradition[1].

Le Trosne, semble-t-il, contribua plus que personne à l’accréditer, par son livre de l'Administration provinciale et de la réforme de l’impôt, qui, publié en 1779, sortait probablement d’un mémoire antérieurement présenté à un concours de l’Académie de Toulouse[2]. Mais ce qui est plus grave, c’est que Turgot venait de consacrer lui-même cette fausse interprétation par le préambule de l’édit du 6 février 1776, lorsqu’il y avait parlé du temps où quelques personnes… annonçaient que le droit de travailler était un droit royal, que le prince pouvait vendre et que les sujets devaient acheter ». Or, quelles preuves pouvait-on donner ? À en croire Le Trosne (qui fut, du reste, secrétaire de Turgot), « ce fut Henri III qui déclara, en 1583, que le droit de travailler est un droit royal et domanial ». Toutefois un édit semblable de 1583 est inconnu : il est vrai seulement qu’Henri III, en décembre 1581, réunit au domaine, d’une manière définitive, des droits fiscaux qui avaient été perçus jadis par le roi des merciers pour l’exercice de certains commerces. Ainsi « la prétention que Le Trosne réprouve sans l’avoir comprise, se serait réduite à percevoir comme domaniale une redevance dont antérieurement profitait un officier[3] ». Mais cette redevance ne peut pas plus que notre patente moderne prouver le monopole régalien du droit de travailler. À l’encontre encore de Le Trosne[4], on doit donner une explication analogue de l’édit de Charles IX de 1571 (et non de 1577), par lequel le roi, en

  1. Ici nous ne faisons que résumer M. des Cilleuls (op. cit., pp. 54 et s.), que M. Germain Martin, écrivant cependant deux ans plus tard, ne paraît pas connaître. — On trouve la même erreur, entre autres, dans Merlin (Contrat de travail, 1907), qui explique l’absence de règles spéciales sur le contrat de travail dans notre Code civil par ce fait que « ce contrat…, pratiqué entre maîtres et compagnons, était matière de droit public, le travail étant considéré comme un droit octroyé par licence royale » (Op. cit., p. 18).
  2. Biographie universelle (de Didot), t. XXX, v° Le Trône ; — Biographie de Le Trosne dans le volume Physiocrates de Daire, 1846, p. 881.
  3. Des Cilleuls, op. cit., p. 56.
  4. « En 1577 — dit Le Trosne — on déclara que la faculté de permettre, la traite était un droit royal et domanial » (Administration provinciale).