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De plus certaines affirmations de sa correspondance, favorables à la liberté, paraissent se concilier difficilement avec beaucoup de ses actes, lui qui, en 1674, à propos des plaintes des fabricants d’Auxerre, se félicitait de l’émulation et de la concurrence parce qu’il y voyait le bien des ouvriers et du public[1], et qui auparavant déjà avait proclamé que « tout ce qui tend à restreindre la liberté et le nombre des marchands ne peut rien valoir[2] ». S’il en est ainsi, pourquoi donc fit-il remettre en vigueur les anciens règlements de fabrication ? et comment par exemple fit-il rédiger les édits de 1666 et de 1669 sur la fabrication des tissus, ainsi que l’instruction de 1671, en 317 articles, sur la teinture des laines[3] ? Il reste là pour nous comme des énigmes insolubles. Y avait-il donc en Colbert un si grand contraste entre le penseur et le législateur ?

Mais toutes ces mesures n’ont pas peu contribué au mouvement de réaction qui se dessina ensuite contre l’œuvre de Colbert, dans une période où, quoi qu’on fît, l’esprit réglementaire et corporatif ne pouvait aller qu’en s’éteignant[4].

Colbert était-il soutenu au moins par la pensée ; que le travail — le travail de manufacture ou d’atelier, faut-il dire, à la différence du travail agricole — fût un droit domanial et régalien, qu’il appartenait au roi de concéder d’après son bon plaisir[5] ? On l’a dit, on le répète encore, et

  1. Lettre à Bouchu, intendant de Bourgogne (voyez des Cilleuls, op. cit., p. 34).
  2. Voyez Clément, op. cit., t. I, p. 367.
  3. Ibid., pp. 321 et s.
  4. Voyez sur ce point, entre autres, des Cilleuls, op. cit., titre II, ch. iv,. §4, « Effacement progressif du rôle des corporations » ; et § 5, « Amoindrissements successifs apportés à la valeur intrinsèque des brevets corporatifs ».
  5. En ce sens, par exemple, non seulement Clément, op. cit. ; t. I, p. 321, mais encore G. Martin, op. cit., p. 227. — « Colbert, dit M. Martin, se soucie d’autant moins des petits fabricants, qu’il est persuadé avec ses contemporains que le droit au travail appartient au roi seul, ayant pouvoir de le concéder, selon son bon plaisir, à ses humbles sujets » (loc. cit.). Et en note : « Henri III regardait le droit au travail comme un droit domanial ».