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toriarum cognitionem, où il nous faisait pressentir Montesquieu, mais avec le sens chrétien en plus et les tendances socialistes en moins. En 1568, on le voit assister aux États de Narbonne. Il devient le commensal et le confident d’Henri III. En 1576, l’année même où il publie son grand traité De la République, il se fixe à Laon, pour y être plus tard procureur du roi. Il préside l’Assemblée du Tiers État aux États Généraux de Blois, ouverts à la fin de cette même année 1576, et il meurt de la peste à Laon en 1596.

Huguenot timide dans sa jeunesse, puis momentanément ligueur par situation, Bodin était ce qu’on appelait un « politique », un homme avisé et prudent, conscient des nécessités du moment et des difficultés inévitables d’une période de transition. Son grand ouvrage de la République est tout un traité du gouvernement et de la société, érudit et bourré de citations classiques comme devait-en mettre alors tout écrivain qui se respectait. L’ouvrage, il est vrai, est gâté, au moins par endroits, par des calculs cabalistiques sur les nombres et sur leurs propriétés, quoique dans d’autres œuvres Bodin ait sacrifié encore bien davantage à ce travers d’un grand esprit trop peu affranchi de certains préjugés de son époque. En tout cas, c’est à tort que plusieurs ont voulu ranger Bodin parmi les précurseurs du socialisme[1]. Il n’est point un républicain, et bien moins encore un socialiste ; il considère la famille et la propriété comme des institutions de droit naturel et il les met au dessus des entreprises de l’État, avec l’intention évidente de protester contre l’Utopie de Thomas Morus, alors en grand honneur.

  1. Nitti, Socialisme catholique, p. 7 : « La République de Jean Bodin ne fut qu’un dérivé tardif des théories de Platon adaptées aux systèmes philosophiques de l’époque et au milieu dans lequel vivait son auteur. » Nitti n’avait donc jamais ouvert la République. Il est vrai que Reybaud, dans ses Études sur les réformateurs contemporains, avait bien une erreur de même genre ; mais Alfred Sudre (Histoire du communisme, 4e édit., 1850, pp. 192-197) n’avait pas eu de peine à venger Bodin de cette calomnie. — Pour Reybaud sur Bodin, voyez Études sur les réformateurs ou socialistes modernes, édition de Bruxelles, 1847, t. II, p. 86.