Page:Rambaud, Histoire des doctrines économiques, 1909.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cas pour aboutir, en somme, à la même formule que celle que nous venons d’exprimer[1]. C’est la séparation bien marquée entre le prêt charitable d’une part, auquel seul s’appliqueraient le texte de saint Luc, Mutuum date, nil inde sperantes[2], et le texte d’Ezéchiel, Si ad usuram non commodaverit et amplius non acceperit… hic justus

  1. Voici le passage, le plus concluant de cette lettre : « La raison de sainct Ambroyse laquelle aussi pretend Chrysostome est trop frivolle à mon jugement : asçavoir que largent nengendre point largent. La mer, quoy ? La terre, quoy ? Je reçois pension du louage de maison. Est-ce pource que largent y croist ? Mais elles procèdent des champs don largent se faict. La commodite aussi des maisons se peust raschepter par pecune. Et quoy ? Largent nest il pas plus fructueux es marchandises, que aulcunes possessions quon pourrait dire ? Il sera loysible de louer une aire en imposant tribut, et il sera illicite de prendre quelque fruit de largent ? Quoy ? Quand on aschepte un champ, asçavoir si largent nengendre pas largent ? Les marchands comment augmentent-ilz leurs biens ? Ils usent dindustrie, dires vous. Certes je confesse ce que les enfans voyent, asçavoir que si vous enfermes largent au coffre, il sera sterile. Et aussy nul nempronte de nous a ceste condition affin quil supprime largent oyseux et sans le faire proffiter. Parquoy le fruict nest pas de largent mais du revenu. Il faut donc conclurre que telles subtilités de prime face esmeuvent, mais si on les considere de plus près elles esvanouissent delles mesmes, car elles nont rien de solide au dedans… En apres je nappreuve pas si quelcun propose faire mestier de faire gain dusure. En oultre je nen concede rien sinon en adjoustant certaines exceptions. La premiere est que on ne prenne usure du pauvre et que nul totallement estant en destroict par indigence ou afflige de calamite soit contrainct. La seconde exception est que celuy qui preste ne soit tellement intentif au gain qu’il defaille aux offices nécessaires, ne aussi voulant mettre son argent seurement il ne deprise ses pauvres frères. La tierce exception est que rien nintervienne qui naccorde avec équité-naturelle ; et si on examine la chose selon la règle de Christ : asçavoir ce que vous voules que les hommes vous fassent etc, elle ne soit trouvée convenir partout. La quatriesme exception est que celuy qui emprunte fasse autant ou plus de gain de largent emprunte. En cinquiesme lieu que nous n’estimions point selon la coustume vulgaire et receue quest ce qui nous est licite, ou que nous ne mesurions ce qui est droict et esquitable par l’iniquité du monde, mais que nous prenions une règle de la parolle de Dieu. En sixiesme lieu que nous ne regardions point seulement la commodité privee de celuy avec qui nous avons affaire, mais : aussi que nous considérions ce qui est expédient pour le public. Car il est tout evident que lusure que le marchand paye est une pension publique. Il fault donc bien adviser que la pache (contrat) soit aussi utile en commun plustost que nuysible. En septiesme lieu que on nexcede la mesure que les loix publiques de la région ou du lieu concèdent. Combien que cela ne suffit pas tousjours, car souvent elles permettent ce que elles ne pourroyent corriger ou reprimer en défendant. Il fault donc preferer equite laquelle retranche ce que il sera de trop » (Cité par de Girard, Histoire de l’économie sociale jusqu’à la fin du XVIe siècle, pp. 557 et s.).
  2. Saint Luc, VI, 35 ; cf. ib., 34.