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vous fait subir n’était pas nécessaire pour vous éloigner d’une voie qui n’est pas la vôtre, et vous faire entrer ou ramener dans celle où vous pourrez accomplir vos destinées. Pleurez : les larmes nous soulagent ; mais ne blasphémez pas.

Mes larmes ne purent couler ; la douleur les brûlait dans mes yeux, et malgré les sages paroles du bon moine la révolte grondait dans mon cœur. J’avais hâte de partir pour me trouver seul. Je quittai donc le père Balzani et la bonne Peppina. Je descendis à pied jusqu’à Florence où je ne m’arrêtai que pour prendre un « vetturino » qui devait me conduire à Prato.

Pendant tout le trajet je fus en proie à une espèce de fièvre ardente. Parfois, je me sentais brisé, broyé ; il me semblait que mon corps allait tomber en dissolution ; parfois, au contraire, j’éprouvais une telle surexcitation dans tout mon être que j’aurais voulu lutter contre la nature entière. Par moments aussi il me semblait qu’une griffe de vautour me déchirait le cœur, et ma main, comme si elle eût voulu la saisir et la briser, labourait de ses ongles ma poitrine. Tout près d’arriver, j’aperçus un paysan, qui nonchalamment s’en allait en chantant dans la campagne ; je fus tenté de lui crier : Mais tais-toi, misérable ! Tu ne sais donc pas qu’elle est morte ?

Enfin le « vetturino » me déposa à la porte du cimetière. Dans une petite ville de quelques milliers d’âmes, les morts ne sont pas