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et entourant un buste de ses bras, il disait presque en délire : « cara mia, tu vici, tu vici ! » Ma bien-aimée tu vis, oui, tu vis ! Et ses lèvres baisaient ardemment le marbre. Puis tout à coup replaçant le voile sur son œuvre, il reculait en criant d’une voix déchirante : « E pure sei morta ! » Et cependant tu es morte ! Il allait s’affaisser sur lui-même quand je le reçus dans mes bras. À ce contact il se redressa, poussa un cri terrible, et s’apprêtait à repousser violemment le téméraire qui s’était introduit chez lui en un pareil moment. En me reconnaissant, il se calma, et deux grosses larmes vinrent mouiller ses paupières. Je l’attirai doucement vers un canapé.

— Comme vous devez me trouver ridicule ! me dit-il, un instant après.

— Moi, vous trouver ridicule ! Je vous admire, je vous envie ! Il est beau, il est grand l’art qui peut inspirer de pareils transports.

— Oui, vous comprenez cela, vous : l’artiste, qui, après une longue et parfois bien laborieuse gestation de l’idée, la voit enfin prendre la forme matérielle rêvée, ressemble un peu à la mère, qui voyant son nouveau-né, oublie le mal qu’il lui a causé, et l’embrasse avec d’autant plus de bonheur qu’il lui représente plus fidèlement les traits de