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Quand j’eus fini, miss Margaret poussa un cri de joie suprême, et me saisissant les mains, elle me dit : vous êtes un grand artiste. J’étais sous l’empire d’une émotion facile à comprendre. Je pressais ses mains qu’elle m’avait abandonnées.

— Oh ! j’aurais voulu, continua-t-elle, que vous eussiez pu me voir toujours ainsi ; peut-être qu’alors…

Elle s’arrêta, et se dégagea vivement de mon étreinte. Nous demeurâmes silencieux l’un et l’autre pendant quelques minutes. Enfin miss Margaret, faisant un effort sur elle-même, comme une personne qui prend une résolution longtemps combattue, me dit :

— Veuillez prêter attention à mes paroles. Les jeunes filles de mon pays reçoivent une éducation toute différente de celle qu’on donne aux jeunes filles du continent européen. Je n’ai pas à juger le plus ou moins de sagesse des deux systèmes ; mais je dois vous dire que dès l’enfance nous jouissons d’une liberté presque absolue. Jeunes filles, nous nous mêlons à la société des jeunes hommes, sans que nos parents ou le monde y voient le moindre inconvénient. Très souvent même nos réunions ont lieu loin de la surveillance des familles. Ce qu’une jeune personne italienne ou française ne pourra pas faire sans imprudence et même sans s’attirer un blâme sévère, une jeune fille américaine ou anglaise a le droit de le faire. Par exemple, si parmi les hommes que nous voyons, il en est un qui nous paraisse digne de notre estime et de notre amour, nous pouvons le lui faire comprendre et même le lui avouer sans que notre