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— Il est certain, me dit-elle, que ce buste reproduit exactement les traits de la jeune fille qui a posé devant vous. Ces cheveux sont vrais et admirablement exécutés, ce front a bien la forme du mien, ces yeux sont heureusement placés dans leur orbite, ce nez est bien mon nez, cette bouche, ces lèvres, ont les contours finement accusés de ma bouche et de mes lèvres, enfin le galbe du visage est irréprochable au point de vue purement plastique, et pourtant…

— Et pourtant ? dis-je, en interrogeant avec une certaine anxiété.

— Je crains que l’ensemble de la physionomie ne laisse à désirer.

— À votre avis qu’y manque-t-il donc ?

— Ce que vous n’avez pas voulu voir ou su donner, c’est le reflet de mon âme. Oui, tout cela est coquet, gracieux, élégant, c’est un marbre supérieurement fouillé, comme vous dites. Tout le monde y verra la main d’un artiste souverainement habile ; mais moi, je n’y vois pas le rayonnement de l’âme, ce je ne sais quoi qui fait dire à celui qui regarde un tableau ou un buste : il y a là une nature aimante. Mais vous étiez trop prévenu contre moi pour pouvoir trouver et rendre cela. Pourtant le fond de mon être est la bonté. En me parlant ainsi elle me regardait, et son regard avait une expression de tendresse infinie dont je fus véritablement troublé ; et saisissant au passage cette illumination soudaine de sa physionomie, je me remis à l’œuvre et je fus assez heureux pour la fixer à tout jamais sur le marbre.