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détesterai lorsque votre délicieux tour d’esprit se sera figé dans les affections conjugales et maternelles [1].


Si les lettres détruites par Cassandra ressemblent à celle-ci, ses scrupules et le souci de veiller sur la mémoire de sa sœur l’ont bien mal inspirée. Mais c’est là une exception, et, à part une dizaine de lettres à Fanny et Anna Austen, l’ensemble de la correspondance, bien qu’émaillé de place en place de réflexions spirituelles et mordantes, est plutôt terne. Son seul mérite est de nous montrer le grand intérêt que Jane Austen prenait à toute sa famille, aux bals, aux toilettes, aux petits potins et aux petites intrigues de sa société.

C’est d’ailleurs de ces petits potins et de ces petites intrigues qu’elle a tiré six chefs-d’œuvre. C’est toute cette minuscule société, « les délices de sa vie », qu’elle a mise dans ses livres. Et toute la gaîté de ses vingt-cinq premières années à Steventon, tout ce bonheur fait de l’atmosphère douce et embaumée du pays natal, de l’affection d’une famille unie, des gentilles taquineries de frères bons garçons, des délicieux bavardages avec de gracieuses amies finement médisantes, imprègne ses romans d’un délicat humour, d’une réconfortante joie de vivre. Nous verrons, en examinant le plus connu de ses ouvrages et en jetant un coup d’œil sur les autres, comment elle sait nous rendre ce petit monde intéressant par un habile groupement des caractères, par une gradation parfaite de l’émotion, un enchaînement judicieux des situations, comment la variété des personnages, l’exactitude de l’observation, l’amusante notation des travers, la fine ironie des remarques, nous donne la peinture la plus vivante et la plus spirituelle d’une époque aujourd’hui disparue, et constitue un incomparable document humain, comme diraient nos romanciers contemporains.




  1. Letters of Jane Austen, edited by Lord Brabourne.