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mystère, soit qu’elle ait trop bien gardé ses secrets, soit que l’affection de sa famille lui ait toujours suffi ; et nous ne savons exactement le rôle qu’a joué l’amour dans son existence. Peut-être, malgré sa réelle bonté de cœur, une certaine veine d’ironie dans ses réflexions l’a-t-elle toujours mis en fuite ? On pourrait le supposer si on ajoutait foi à ce passage d’une lettre écrite en 1815 par Miss Russell Mitford, une romancière anglaise de talent :

« Après avoir été la plus jolie, la plus sotte et la plus affectée de toutes les jeunes personnes qui chassent au mari, elle était devenue le type le plus perpendiculaire, le plus précis, le plus taciturne de la célibataire. Jusqu’à ce que la publication d’Orgueil et Préventions eut fait valoir quel joyau cachait cet inflexible étui, on ne lui accordait pas plus d’attention qu’à un écran ou à un tisonnier. Aujourd’hui, c’est encore un tisonnier, mais un tisonnier dont chacun a peur. Il faut avouer que l’observation silencieuse d’une pareille observatrice a quelque chose de terrible [1]. »

Le portrait n’est pas très flatteur et ressemble peu à celui que nous avons donné. Comment l’auteur de la joyeuse Emma, dessinée d’après elle-même si on en croit beaucoup de ses biographes, aurait-elle pu être la plus taciturne, la plus perpendiculaire des célibataires ; et comment voir une vieille fille hargneuse dans la tante si gaie, si franche, si spontanée, si amusante, que nous montrent ses lettres et celles de ses jeunes neveux et nièces ? D’ailleurs, Miss Mitford n’avait jamais connu Jane Austen, et elle ne parlait que d’après les souvenirs rapportés par sa mère, peut-être encore sous l’influence d’une ancienne jalousie féminine.

Nous avons peine à croire que Jane ait tant cherché un mari et n’ai pu le rencontrer, ni que ses malicieuses remarques aient suffi à faire battre en retraite les prétendants

  1. Letters of M. R. Mitford to Sir William Elford.