Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/33

Cette page n’a pas encore été corrigée

sous l’influence de Richardson ; elle n’a pas encore trouvé sa voie et elle se contente d’imiter. Mais elle ne va pas tarder à développer toute sa personnalité. En octobre 1796, elle commence un roman d’une forme toute différente de ses précédents essais, et, du premier coup, à vingt et un ans, elle nous donne un chef-d’œuvre. Orgueil et Préventions, dont le premier titre fut Premières Impressions. Elle s’est aperçue qu’elle a près d’elle une mine inépuisable d’où elle peut tirer des trésors d’ironie et d’humour : la société de Basingstoke. Comme elle possède une acuité d’observation prodigieuse, sans effort, instinctivement, en s’amusant, elle a déjà groupé et emmagasiné dans son cerveau tous les détails de caractère, petits ridicules, petites manies, petites passions, petits vices, petites vertus, que peut offrir à ses yeux de jeune fille le champ restreint de la vie provinciale. Dans les bals et les réceptions qu’échange le recteur avec les notabilités des environs, elle rencontre toujours les mêmes personnages ; mais elle a le loisir de les examiner à fond, d’étudier leurs manières, leurs tics, leur langage. En bavardant, en dansant, en flirtant, elle note la vanité du gros propriétaire, membre du Parlement, la bonhommie narquoise du petit bourgeois lettré, les bévues de l’ancienne commerçante enrichie, l’importance prétentieuse des femmes de pasteurs, les manœuvres des jeunes filles et des mères pour pêcher le mari riche, la suffisance impertinente des jeunes gens.

Le nombre des caractères est limité et ils ne brillent par aucune qualité extraordinaire ; mais Jane préfère cela. Le cadre plus étroit lui permet de donner plus de fini à sa peinture. Ses romans ne sont pour elle qu’une distraction, un dérivatif à la monotonie des passe-temps provinciaux ; et elle n’éprouve pas le besoin d’aller chercher dans des milieux étrangers une documentation disparate et forcée, destinée à réveiller artificiellement l’intérêt du lecteur.