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On ne se repent jamais de relire ces charmants ouvrages, et on les aime de plus en plus à mesure qu’on les pratique. À chaque nouvelle lecture comme à chaque nouvelle audition d’un opéra favori, on y découvre de nouvelles beautés passées d’abord inaperçues, on saisit des traits d’esprit, des nuances de caractère, des ironies voilées qu’on avait négligées. En même temps qu’ils nous divertissent, ces livres sans prétention nous habituent à mieux observer ce qui se passe sous nos yeux et nous rendent notre entourage plus intéressant. Ils nous montrent que l’existence la plus modeste offre les mêmes contrastes et les mêmes émotions que la vie la plus agitée, pour qui sait goûter l’humour de ses petites péripéties et sentir la poésie de ses menus événements. Ils nous enseignent une indulgence aimable et ironique, nous accoutument à sourire doucement des méchancetés et des ridicules, au lieu de nous en indigner.

Si nos compatriotes se décident à faire connaissance avec la spirituelle petite bourgeoise du Hampshire, ils ne se trouveront point dépaysés en sa compagnie. Elle ne les introduira pas, comme tant de romanciers étrangers, dans un monde effarant de révoltés à l’idéal nuageux, de déséquilibrés qui parlent un langage aussi obscur que celui des anciens augures, et ils n’auront point à se torturer l’esprit pour deviner la signification d’un symbolisme mystérieux. En leur faisant les honneurs de la société de Meryton, Jane Austen ne leur présentera que de bons bourgeois aux idées positives et claires, dont les phrases n’ont rien de sibyllin, qui agissent toujours dans un but réel, visible et précis. Elle tire de leurs aventures une morale toute pratique, pleine de bon sens, agrémentée d’une pointe de scepticisme narquois, la morale des fables de La Fontaine. N’est-ce point là des livres susceptibles de plaire au public français ?