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très loin d’eux. Le citadin veut nous introduire dans l’intimité des paysans, le petit bourgeois s’attache à nous montrer les mœurs aristocratiques, le mondain élégant et riche se plaît à sonder les vices de la populace. On croirait qu’ils ne peuvent décrire que ce qu’ils ne connaissent pas, peindre que ce qu’ils ne font qu’apercevoir. Beaucoup d’entre eux se documentent fort consciencieusement : ils se rendent sur place, ils examinent les lieux minutieusement, ils interrogent les personnes de tout sexe et de tout âge, ils écoutent chaque partie, ils réunissent un formidable dossier sur leur sujet. Et quelquefois, leurs romans nous donnent, à nous qui ignorons le milieu évoqué, l’illusion de la réalité et de l’exactitude. Mais ceux dont ils ont la prétention de tracer un portrait ressemblant ne se reconnaissent pas dans leurs livres. Malgré ses scrupuleuses enquêtes, l’auteur est resté étranger aux sentiments de ses personnages ; il n’en a qu’une idée vague, car il n’a jamais joui de leurs bonheurs ni souffert de leurs détresses. Il n’a jamais dit leurs phrases, fait leurs gestes, et il les interprète tout de travers. Il n’est point à l’unisson.

La méthode de Jane Austen est, nous l’avons vu, fort différente. Elle ne s’écarte pas du petit coin de terre où elle a toujours vécu, elle se contente de nous décrire l’étroit groupe humain dont elle a toujours partagé les joies et les douleurs, les opinions et les préjugés. Elle ne met en scène que des hommes et des femmes qui parlent le même langage qu’elle, observent les mêmes conventions, aspirent aux mêmes félicités bienséantes et calmes. Ainsi la plus petite touche du tableau est juste, significative, sentie. L’ensemble de l’œuvre paraît peut-être un peu maigre, trop uniforme, insuffisant pour donner une idée de la variété de la nature humaine. Mais comme il s’agit de personnalités appartenant à la classe moyenne, avec des qualités et des défauts moyens qui se retrouvent d’un bout à l’autre de l’échelle sociale,