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n’ont fait que reprendre la formule d’une Romancière d’hier, d’une toute jeune fille, leur aînée d’une centaine d’années, élevée très bourgeoisement dans le presbytère d’un petit village anglais, à l’écart de tout milieu réformateur ou critique, sans contact avec aucun théoricien des lettres. Et, il n’y avait même pas, pour ces Romanciers d’aujourd’hui, la ressource de traiter les ouvrages de la Romancière d’hier d’ébauches incomplètes et maladroites, dans lesquelles le germe du nouveau genre était évidemment contenu, mais si imparfaitement qu’il avait fallu qu’un artiste de génie vint plus tard insuffler la vie à l’œuvre informe. Ce sont au contraire, de l’avis des plus grands maîtres, des chefs-d’œuvre atteignant l’ultime perfection, qui n’ont pas été et ne seront jamais surpassés.

D’autres romanciers anglais du xixe siècle ont pu être des écrivains profonds et clairvoyants, mais ils visent en même temps d’autres buts qu’une exposition claire du jeu des sentiments humains. Des préoccupations de propagande morale, philosophique, sociale, troublent l’impassibilité de leur étude. Ils ont des qualités étincelantes d’émotion, de sensibilité, d’esprit, de poésie, qui nous entraînent et nous ravissent, mais qui déguisent un peu la vraie nature de leurs personnages. Nous ne rencontrons pas dans les œuvres de Jane Austen les magnifiques exubérances de la passion, comme dans celles de Charlotte Brontë, ni les éclats de gaieté désordonnée s’écroulant soudain en de poignantes tragédies qu’inspire à Dickens son amour exaspéré pour les malheureux, ni l’ironie implacable, les éloquentes indignations de Thackeray, ni la poésie évocative des beaux soirs qui imprègne les romans de George Eliot. Mais l’art dont tous ces auteurs de génie se servent pour augmenter le relief de leurs caractères leur enlève en même temps un peu de réalité. Dans son cadre étroit, avec ses sobres procédés, Jane Austen nous peint les siens plus fidèlement ; son