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où débarqua le duc de Monmouth, et s’écrie tout au souvenir de Persuasion : « Laissez-moi tranquille avec le duc de Monraouth ; mais montrez-moi la place où Louisa Musgrove est tombée », témoignant ainsi qu’un simple personnage de roman pouvait prendre dans son esprit une réalité plus intense que les héros de l’histoire. C’est le cardinal Newman, qui, pour perfectionner son style, relisait chaque année les ouvrages de Jane Austen.

On écrit des livres non seulement sur elle, mais sur son entourage, sur ses frères, sur ses amis ; on en fait le centre même de la vie anglaise au commencement du xixe siècle, en intitulant des ouvrages : Jane Austen et son Temps, Jane Austen et ses contemporains. Aussi n’est-on pas très surpris de découvrir qu’il s’agit d’elle dans un article de revue publié en 1902 sous le titre de : La légende de sainte Jane. C’est, suivant les expressions de l’auteur, « un hymne en l’honneur de sainte Jane, de notre divinité », un acte d’ « adoration passionnée pour la plus fascinante des saintes ».

Cette exaltation idolâtre rappelle les transports de Diderot déclamant : « Oh ! Richardson ! Richardson ! homme unique ! Tu seras la lecture de tous mes instants ! [1] » et déclarant qu’obligé de vendre sa bibliothèque, il ne garderait que les œuvres de Richardson, d’Homère, d’Euripide, de Moïse. Mais il décernait ces éloges outrés à un de ses contemporains, créateur d’un nouveau genre littéraire, alors en pleine vogue ; il était entraîné par l’engouement général ; la sensibilité et l’enthousiasme étaient à la mode. Il est plus surprenant de voir renaître à une époque positive et sceptique ces admirations éperdues en faveur d’un écrivain disparu depuis près de cent ans, et dont les œuvres n’ont pas l’attrait de la nouveauté. Cette glorification posthume de Jane Austen, cet enthousiasme rétrospectif pour des

  1. Éloge de Richardson.