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si l’on considère la culpabilité de ceux qui l’organisent ; mais si l’on considère la souffrance des victimes, je ne sais laquelle est la pire ».

Nous n’avons pas la prétention de déduire de ces quelques lignes que Jane Austen fut la créatrice du roman social ; mais nous devons reconnaître que, lorsque l’occasion se présente, elle parle des injustices de notre organisation économique avec un accent qui ferait honneur à un tribun révolutionnaire d’aujourd’hui.

Si dans ses livres elle ne cherche pas à nous attendrir sur les souffrances des malheureux, ce n’est donc pas par indifférence, mais parce qu’elle s’éloignerait de la vérité en nous montrant ses placides héros trop préoccupés de ces questions. Ils ne discutent pas plus le paupérisme qu’ils ne discutent le mariage, la famille, l’état, la royauté. Ce ne sont pas des problèmes pour eux, ce sont des nécessités établies par une volonté supérieure ; et ce serait presque de l’impiété de supposer qu’on peut les détruire ou les améliorer. Leur patriotisme et leur intérêt de bourgeois à l’aise leur font trouver excellente une organisation qui a fait de l’Angleterre une grande nation, et qui leur procure le bien-être joint au respect de leurs inférieurs. Ils connaissent les réelles vertus de leur race et de leur classe, sont un peu aveugles sur leurs défauts, et méprisent les nouveautés qui viennent du continent. Ils se disent que si elles étaient bonnes, il y a longtemps qu’un clergyman anglais les leur aurait enseignées. Jane Austen, étant plus intelligente, est un peu plus sensible, mais tout au fond elle pense comme eux. Elle a été élevée dans leur milieu, et elle a beaucoup de leurs préjugés. Ne les aurait-elle pas, elle se tairait, car son tempérament n’est pas celui d’un apôtre. Elle craint déjà les préventions de la société contre les femmes auteurs, quelle doit être sa terreur de passer pour une réformatrice !

Le même équilibre de sensibilité et de pondération se retrouve dans ses impressions esthétiques. Elle n’est