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domestiques, aussi longtemps, si je peux parler ainsi, aussi longtemps que vous avez un objet. Je veux dire : tant que la femme aimée vit, et vit pour vous. Le seul privilège que je réclame pour mon sexe (il n’a rien d’enviable, n’en soyez pas jaloux), c’est d’aimer plus longtemps, quand l’existence de l’être chéri est terminée, ou qu’il ne reste plus d’espoir d’en être aimé ».


L’accusation d’insensibilité contre l’auteur d’un si touchant plaidoyer semble bien injuste, et l’on ne peut dire de Jane Austen qu’elle est « de ces femmes qui cherchent à se faire valoir auprès du sexe fort en dénigrant le leur [1] ».

Mais elle ne se contente pas de revendiquer pour les femmes la part qui leur revient des qualités humaines ; elle rend les hommes responsables de la faiblesse intellectuelle et de la légèreté de leurs compagnes. C’est la fatuité masculine qui en est la cause. Rien n’est plus agréable aux hommes que le sentiment de leur supériorité ; ils ne brillent pas assez dans la société des femmes intelligentes, et ils préfèrent se faire admirer par les sottes. C’est ainsi que Jane Austen fait remarquer au lecteur combien la naïve Catherine Morland a tort d’être honteuse de son ignorance devant le beau Tilney. Elle écrit :


Les personnes qui veulent gagner l’affection d’autrui doivent toujours être ignorantes. Se présenter avec un esprit cultivé, c’est montrer une inaptitude complète à flatter la vanité d’autrui, ce que toute personne sensée doit toujours éviter. Une femme tout particulièrement, si elle a le malheur de posséder quelque instruction, doit le cacher aussi bien que possible. Les avantages d’une bêtise naturelle chez une jolie jeune fille ont déjà été mis en lumière par un écrivain de notre sexe. J’ajouterai seulement, pour rendre justice aux hommes, que si la plupart d’entre eux et les plus insignifiants

  1. Mansfield Park.