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mment choisi ses mots, rejeté toute expression vague et insipide, n’a gardé que le bon grain.

Il est intéressant de remarquer que des critiques anglais trouvent à son style un cachet français. « Elle introduit quelques-uns de ces éléments plus secs et plus mordants dont la littérature française a toujours été riche et la nôtre comparativement pauvre », lit-on dans un article anonyme de la « Macmillan Review » ; et un auteur américain, Mr. Bonnell écrit : « il semblerait qu’une Académie Française la surveille [1] ».

Cette netteté un peu sèche de la phrase convient admirablement à l’ironie cinglante, à l’esprit caustique qui font le charme de ses livres. Un humour incomparable par la finesse et l’acuité de l’observation pimente toute son œuvre. Tantôt c’est tout l’ensemble d’une conversation qui met en lumière les ridicules d’un personnage, tantôt c’est une petite phrase brève qui note à la volée le comique d’une situation.

Quelle amusante petite scène que celle ou Mrs Bennet s’efforce si maladroitement de jeter sa fille Jane dans les bras du riche Bingley.


Le soir, Mrs. Bennet montra aussi ouvertement sa volonté de laisser Bingley et Jane seuls. Mr. Bennet s’était retiré dans sa bibliothèque, Mary était en haut à jouer du piano. Deux obstacles sur cinq ainsi écartés, Mrs. Bennet s’assit, et, pendant un certain temps, lança des regards et des clignements d’yeux à Elisabeth et à Catherine, sans réussir à faire aucune impression sur elles. Elisabeth évitait de la regarder, et, lorsque Kitty s’aperçut enfin du manège de sa mère, elle demanda très innocemment : « Qu’est-ce que tu as, Maman, pourquoi me fais-tu constamment des clignements d’yeux ? Que veux-tu ».

« Rien mon enfant, rien, je ne cligne pas des yeux ».

Elle resta encore assise cinq minutes, puis incapable de voir gâcher plus longtemps une si précieuse occasion, elle

  1. C. Brontë, J. Austen and G. Eliot by H. H. Bonnell.