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— « Ah ! Je suis ravie d’en être débarrassée. Et maintenant si nous allions à Edgars’Buildings, pour jeter un coup d’œil à mon nouveau chapeau. Vous avez dit que vous désiriez le voir ».

Catherine acquiesça vivement.

— « Seulement », ajouta-t-elle « nous allons peut-être rencontrer ces deux jeunes gens ».

— « Oh, qu’importe. En nous dépêchant nous les dépasserons, et je meurs d’envie de vous montrer mon chapeau ».

— « Mais, en attendant quelques minutes, nous serons sûres de ne pas les voir ».

— « Je ne veux pas leur faire tant d’honneur, je vous assure. Je n’ai pas l’habitude d’accorder autant d’importance aux hommes. C’est ainsi qu’on les rend insupportables ».

Catherine ne put rien opposer à ce raisonnement ; et, afin de montrer l’indépendance de Miss Thorpe et sa résolution de mortifier le sexe fort, elles se mirent immédiatement à la poursuite des deux jeunes gens, d’un pas aussi rapide qu’elles le purent [1].


Cette petite scène, écrite en 1799, pourrait être aussi bien l’œuvre d’un romancier de nos jours, dépeignant la vie mondaine dans une de nos villes d’eaux à la mode. C’est ainsi que l’usage d’un dialogue fourmillant des expressions les plus savoureuses, les plus piquantes, les plus humoristiques, que l’auteur a non pas forgées lui-même, mais qu’il a recueillies au vol dans son entourage, donne une sensation de réalité intense. Jane Austen est un merveilleux maître dans cet art du dialogue ; elle sait lui garder son naturel, tout en y concentrant les réflexions les plus caractéristiques de l’état d’âme de ses personnages. Les phrases qu’elle leur prête, nous les avons entendues mille fois autour de nous, elles nous sont familières, mais elle les groupe en des associations d’où jaillit un humour charmant.

  1. L’abbaye de Northanger.