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de celles qui lui sont offertes ». Et Mr. Bennet est un vrai philosophe. Venu cent ans avant Monsieur Bergeret, il a plus d’un trait de ressemblance avec le héros d’Anatole France : même amour des livres, même rancune contre la femme qui a déçu ses rêves de bonheur, même plaisir à voir les choses autrement que la foule, même affectation d’indifférence pour ses enfants.

Quelquefois cependant il oublie son rôle, le sentiment reprend le dessus, et c’est avec un mélange délicieux de comique et d’émotion qu’il donne des conseils à Elisabeth sur le point d’épouser Darcy.

— « Je lui ai donné mon consentement », dit il, « car c’est un homme auquel je n’oserai jamais rien refuser dès qu’il daignera me demander quoi que ce soit. Je vais te donner mon consentement à toi aussi. Lizzie, si tu es résolue à l’épouser. Mais laisse-moi te demander de réfléchir un peu plus. Je connais ton caractère, ma Lizzie, je sais que tu ne pourras être ni heureuse, ni tranquille, si tu n’estime pas au fond du cœur ton mari, si tu ne le regardes pas comme supérieur à toi. Ton intelligence et tes sentiments affectueux ne seraient qu’un danger pour toi dans une union inégale. Il te serait presque impossible d’échapper à la déchéance et à la misère morale. Mon enfant, ne me donne pas le chagrin de te voir incapable de respecter ton partenaire dans la vie ».


On sent, dans cette prière, tout ce qu’il a dû souffrir au contact de Mrs. Bennet. À vingt ans, elle l’a séduit par une vivacité gracieuse et passagère de jeune chat, et cette exubérance juvénile est vite devenue la vulgarité bruyante et prétentieuse d’une matrone aux formes épaisses. « C’est une femme d’esprit bas, ignorante et capricieuse. Quand elle est mécontente, elle se croit nerveuse. Elle ne songe qu’aux visites et aux potins ». Chacun de ses actes, chacune de ses phrases, nous montrent en elle le type même de ces femmes médiocres et désœuvrées, qui ne savent pas profiter du calme de la