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sa figure d’une délicate poésie. Ce n’est plus une toute jeune fille comme les autres héroïnes de Jane Austen ; elle a déjà vingt-sept ans, et la tristesse de l’amour évanoui a fané depuis longtemps l’éclat de sa jeunesse. Elle ressemble à Fanny Price par sa timidité, mais sa résignation est d’une autre nature, plus mélancolique, plus poignante. C’est l’abandon d’une vaincue qui a perdu toute espérance, qui n’attend plus rien de la vie. Chez Fanny Price, ce n’était que les aspirations de la jeunesse comprimées, mais promptes à rebondir ; c’était moins tragique. Aussi combien est lent, mesuré, gradué, le retour de la foi au bonheur chez Anne Elliot ! Comme elle a peine à croire aux symptômes favorables de l’amour renaissant du capitaine Wentworth ! Comme elle craint de se laisser leurrer par ses désirs ! C’est une exquise petite figure falotte, qui prend peu à peu de la consistance, dont la physionomie s’anime et s’éclaire tout doucement, dont les gestes s’affermissent lentement, à mesure que reparaît l’espoir, que grandit la conviction d’être encore aimée.

Toutes les jeunes filles de Jane Austen ne sont pas aussi franches, aussi douces, aussi résignées qu’Elisabeth Bennet, Fanny Price, Anne Elliot, ni même aussi sérieuses qu’Emma Woodhouse, qui au fond est une petite personne bien raisonnable. Il y a aussi dans son œuvre quelques vierges sinon tout à fait folles, du moins peu réservées et quelquefois très calculatrices. Lydia Bennet dans Orgueil et Préventions, les sœurs Bertrams dans Mansfield Park, sont des écervelées d’une moralité mal assise ; et Elisabella Thorpe n’a guère de retenue dans ses flirts lorsqu’il s’agit d’agripper le mari riche. Mais elles sont en général reléguées au second plan ; deux seulement jouent un rôle de premier ordre, Mary Crawford et Lucy Steele. Avec une même avidité pour les plaisirs et l’argent, une même absence de principes, elles sont fort dissemblables.