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extraordinaires de perversité ; ses débauchés n’ont rien de Lovelace ; ce sont de petits jeunes gens sans principes, très égoïstes, mais susceptibles d’un bon mouvement. Ils ne jouent en général qu’un rôle secondaire, et ne sont là que pour mettre en lumière la vertu de l’héroïne. L’un d’eux, cependant, Henry Crawford, est l’un des principaux personnages de Mansfield Park. C’est un libertin sympathique : pas joli garçon, c’est trop vulgaire, mais élégant, spirituel et riche ; il a même quelquefois du cœur. Élevé par un oncle fêtard et sceptique, il ne songe qu’à profiter de toutes les jouissances que mettent à sa portée sa fortune et son rang social, sans s’embarrasser de préjugés bons pour les gens d’église. L’innocence et la difficulté l’excitent : « Ce serait quelque chose », proclame-t-il, « d’être aimé par une jeune fille telle que Fanny Price, d’éveiller en elle les premières ardeurs d’un cœur jeune et naïf qui n’a encore rien senti ». Il a aussi l’impatience irraisonnée des jouisseurs ; et, comme Fanny est honnête et qu’il n’a que ce moyen de la conquérir, il la demande en mariage malgré sa pauvreté. Il se croit sincère, sérieusement épris, ébauche mille projets pour la rendre heureuse ; mais quand il est repoussé, son amour s’évanouit rapidement, et il n’est pas long à se consoler en enlevant la femme d’un de ses amis. Ce n’est pas qu’il soit dépourvu de tout sens moral. Quelquefois le vide de sa vie lui pèse, et, en entendant le jeune William Price raconter les dangers courus sur les vaisseaux du roi, « il se sent le désir d’avoir sillonné les mers, d’avoir vu, d’avoir agi, d’avoir souffert comme lui. Et, au lieu d’être ce qu’il est, il voudrait être un William Price, se distinguant et se frayant une route vers la fortune et la notoriété avec cette joyeuse ardeur et cette dignité de vie ». Quelle tentation pour la fille d’un pasteur de ramener à la vertu un jeune homme doué de si bonnes dispositions ! Mais Jane Austen ne cherche que la vérité de son portrait ; elle renonce à une si