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la parole donnée, il sacrifie son amour à son respect d’une promesse extorquée, et, en même temps, il ne trouve pas le courage d’avouer à sa mère que ce même engagement rend impossible pour lui le brillant mariage vers lequel elle le pousse. Sa faiblesse est toute différente de celle de Bingley ; elle ne provient pas d’une nonchalance naturelle qui le soumet aux suggestions d’autrui, mais de scrupules exagérés que savent exploiter les gens moins loyaux. C’est le plus terne des héros de Jane Austen ; ce n’est pas le moins vrai.

Mr. Henry Tilney, fils d’un général resté galant malgré son âge, mêle beaucoup de fatuité à son bon sens. Il aime à flirter dans les « Rooms » de Bath et à éblouir les jeunes filles naïves qui arrivent du fond de leur province. Il est le pasteur homme du monde, esprit cultivé, fin railleur, grand connaisseur en dentelles et en chiffons. Sa place est au milieu d’un cercle de paroissiennes entichées de leur beau et spirituel vicaire.

Ils sont enclins tous trois à s’effrayer des difficultés, à reculer devant l’obstacle, à se résigner trop facilement. Mais c’est là le défaut de leur classe et de leur profession. Élevés dans l’aisance, sans connaître les duretés de la lutte pour l’existence, ils se destinent à la vie calme du pasteur de campagne ou de petite ville. Tout cela n’est pas fait pour développer le caractère ou la volonté.

Ils sont d’ailleurs parfaitement adaptés au rôle qu’ils ont à jouer. Il serait facile de donner un peu moins d’indécision à Mr. Edward Ferrars, un peu plus plus de perspicacité et de fermeté à Mr. Edmund Bertram, de viriliser Mr. Henry Tilney. Le roman finirait alors bien vite et la psychologie que pourrait développer l’auteur serait rapidement épuisée ; dans les circonstances ordinaires et dépourvues d’événements tragiques où Jane Austen les a placés, ses amoureux, s’ils étaient des êtres énergiques ne s’arrêteraient pas longtemps à de légers obstac