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les sentiments des bons bourgeois de Meryton ; si, dans un bal, on lui vante la danse comme l’art le plus raffiné d’une société civilisée, il répond avec le plaisir évident d’étonner des provinciaux : « Certainement, et elle a aussi l’avantage d’être également en vogue parmi les sociétés les plus arriérées ; tous les sauvages dansent ». C’est exact, mais peu galant. Quelquefois il est même très fat : « J’ai assez de défauts, mais ce ne sont pas des défauts d’intelligence », laisse-t-il échapper devant de moqueuses jeunes filles. Cela étonne un peu d’un homme fin et d’esprit pénétrant ; on pense ces choses-là, on ne les dit pas, même quand on est orgueilleux. Mais il fallait bien justifier l’antipathie d’Elisabeth, en masquant par un gros vice très visible les qualités de son adversaire, sa sensibilité délicate et sa générosité chevaleresque. S’il est ombrageux et arrogant, c’est qu’orphelin riche, il a été trompé par des amis indignes, trop gâté par les jeunes filles, leurs mères et leurs tantes, qu’attirent en essaim sa beauté et sa fortune. Aussi, le fin doigté d’une femme intelligente et affectueuse a vite fait de le rendre non pas souple et empressé, mais suffisamment aimable pour écouter patiemment les stupidités de Sir Lucas ou du Rév. Mr. Collins, et ne hausser les épaules que lorsqu’ils ont le dos tourné.

Évidemment il n’arrivera jamais à la sociabilité de son ami Bingley [1]. Celui-ci, c’est l’homme charmant par excellence. Riche, de bonne famille et joli garçon, il ne se croit pas obligé pour cela d’être hautain et maussade. Ce n’est pas lui qui dans un bal laisserait des jeunes filles faire tapisserie ; il est plein d’indulgence, et disposé à les trouver toutes jolies. Par contre, il n’a ni la lucidité d’esprit ni la volonté de Darcy. Déplorablement mou, il subit trop complaisamment les influences de son entourage ; et lorsque, cédant aux suggestions de ses sœurs et

  1. Orgueil et Préventions.