Page:Rague - Jane Austen, 1914.djvu/114

Cette page n’a pas encore été corrigée

Anne Elliot. Cette réflexion et la note toute nouvelle de mélancolie qui imprègne Persuasion nous permet d’imaginer quels merveilleux romans, remplis d’une plus large sympathie pour toutes les souffrances humaines, aurait pu nous donner Jane Austen, échappée à la mort, gardant le souvenir des épreuves subies et de la sollicitude de son entourage.

Dans ces six romans, Jane Austen, en même temps qu’elle multiplie les petites scènes familières, évite soigneusement les épisodes dramatiques ou licencieux. Si, dans Raison et Sensibilité, un duel a lieu entre le colonel Brandon et Willoughby, cet incident, qui fournirait à tant de romanciers un chapitre sensationnel, est rapporté en deux lignes, dans une conversation. Dans Orgueil et Préventions et dans Mansfield Park, des enlèvements viennent ouvrir les yeux à certains de ses personnages, et rapprocher les caractères droits et loyaux par les désordres mêmes des frivoles et des vicieux. Elle ne peut, en effet, sans trahir la vérité, passer sous silence les conséquences inévitables d’un naturel mauvais ou d’une éducation malsaine. Mais elle glisse rapidement sur l’événement exceptionnel et scandaleux : « Que d’autres plumes », dit-elle, « s’appesantissent sur les fautes et les misères humaines, moi, je quitte des sujets aussi odieux aussitôt que je le peux » [1].

Sans doute, cette abstention de toute péripétie émouvante, cette notation minutieuse de tous les petits faits qui constituent la vie un peu plate de la bourgeoisie, n’excite pas outre mesure la sensibilité du lecteur, et ne peut guère satisfaire les amateurs d’émotions violentes. Ces romans ne conviennent point aux âmes passionnées ; et on ne peut s’étonner que Charlotte Brontë ne trouve dans Orgueil et Préventions qu’un « daguerréotype fidèle d’une physionomie banale, qu’un jardin soigneusement

  1. Mansfield Park.