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faciles à établir dans mon poste officiel, me permirent d’observer avec quelque suite tout ce que les marins retenus à bord par les exigences du service ne font ordinairement qu’effleurer. — Je dois dire pourtant que c’est le côté pittoresque des pays parcourus, que ce sont les mœurs des sociétés auxquelles je me suis mêlé, qui particulièrement ont excité ma curiosité et accaparé mon attention.

Les rapports de plus en plus fréquents des nations entre elles effacent chaque jour les grands traits qui les distinguent, pour ne laisser subsister que certaines nuances de leur origine et de leur caractère : ce sont ces nuances que j’ai voulu saisir ; ce sont elles qui donnent, à mon sens, l’harmonie et le piquant aux récits du touriste.

En fait de voyages, je ne me permettrai pas de critiquer une tendance, aujourd’hui à peu près générale (mais, peut-être bien, excessive), qui conduit l’écrivain, sous prétexte de gravité, à ne rendre compte que du développement extérieur, du progrès politique ou commercial, même social, d’un peuple ; enfin, de transformations, après tout, assez tristes et assez vulgaires : on écrit alors d’excellentes statistiques ; mais on pose les mêmes chiffres sur chaque pays, on les voit tous du même œil ; et qu’il s’agisse d’une contrée bizarre de l’Afrique, de l’Asie ou de l’Amérique, on n’en parle qu’avec les idées et, si j’osais le dire, qu’avec les préjugés de l’Europe. Il m’aurait semblé peu convenable et presque ridicule de supprimer ainsi tout le côté intime et original des nations, pour ne laisser subsister qu’une sorte d’uniformité antiartistique ou littéraire.