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jeunesse chilienne, mérite d’ailleurs d’autant plus nos sympathies, qu’il est plus désintéressé. La profession d’homme de lettres n’existe pas au Chili. Les poëtes et les romanciers ne reçoivent aucune rémunération de leurs travaux ; ils ne sont soutenus ni par le stimulant du gain, ni par l’admiration de leurs compatriotes, toujours prêts à leur adresser l’inexorable question : Para que sirve eso ? — à quoi bon ? Ceux-là donc qui ne peuvent étouffer le feu sacré chantent pour eux-mêmes, comme les oiseaux sous le feuillage, et s’ils ont l’outrecuidance de se produire dans les journaux à court de nouvelles, seul, l’oiseleur qui les guette les découvrira d’aventure sur un dernier verso tout obstrué d’annonces ridicules.

Le Chili eut, il est vrai, pendant quelques années un recueil Hebdomadaire, el Crepusculo, exclusivement consacré aux sciences et à la littérature. Ce recueil, qui paraissait encore à San-Iago en 1843, ne put malheureusement se soutenir : il disparut après quelques années d’une existence souffreteuse. Ce qui manque aux poëtes chiliens, on l’a compris, c’est l’originalité d’abord, c’est peut-être aussi le public. Il faut, pour que la littérature prenne dans ce pays un développement sérieux, qu’elle se trouve en face d’une génération moins indifférente aux lettres que la génération toute politique des fondateurs de l’indépendance.

En attendant que le mouvement actuel aboutisse à une ère vraiment féconde, il faut nommer cependant quelques-uns de ces écrivains dont les inspirations, dispersées au hasard dans les journaux de San-Iago ou de Valparaiso, mériteraient d’être recueillies et sauvées de l’oubli. Le Chili n’a pas seulement des poëtes, il a déjà des femmes de lettres ! La courtoisie veut que nous citions en première ligne, parmi ces représentants d’une littérature naissante, la señora Mercedes Marin. Une légende en vers qu’elle a publiée, la Novia y la Carta