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nesse chilienne pour les travaux de l’esprit ? Depuis quelques années, il y a un mouvement littéraire au Chili, mouvement de peu d’importance encore, où l’influence de notre littérature se fait trop sentir, mais qui mérite de nous occuper. Qui sait, en effet, si ces lueurs douteuses ne précèdent pas une brillante aurore ? Sous le régime de l’ombrageuse Espagne, tous les livres auxquels on supposait la plus légère tendance politique ou philosophique étaient sévèrement prohibés. Les ouvrages de piété ou ceux dont on ne pouvait suspecter l’orthodoxie avaient seuls leurs franchises. Cette colonie était, à l’époque où elle venait de conquérir son indépendance, la plus arriérée de toutes celles du nouveau monde. Quand la révolution fut venue y donner droit de bourgeoisie aux chefs d’œuvre des littératures étrangères, les hommes qui avaient voué la première partie de leur existence aux événements politiques consacraient la seconde à des intérêts gravement compromis durant les jours d’anarchie. Aucune tradition littéraire n’avait donc été transmise à la génération nouvelle, aucune route ne lui avait été indiquée. L’éducation presque française que reçut la jeunesse, l’essor que prit notre littérature vers 1830, et qui en répandit les productions non-seulement dans toute l’Europe, mais dans le nouveau monde, telles furent les influences qui présidèrent aux premiers pas du Chili dans la carrière intellectuelle. Comme dans tous les pays où une littérature nationale est à fonder, on commença par s’inspirer de modèles étrangers, on débuta par la traduction et l’imitation ; on poussa même fort loin cet engouement, jusqu’à traduire nos feuilletons et nos mélodrames. Aujourd’hui encore, on n’est pas sorti de cette période d’essais ; mais on continue d’y porter une ardeur digne d’encouragement, et déjà, au milieu de ces louables efforts, on peut signaler des tentatives heureuses, qui font espérer une littérature originale. Le culte des lettres, tel que le comprend la