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cette armée recelait dans son sein la trahison. Elle était à la veille de se rendre au port, des navires l’attendaient pour la conduire au Pérou, et Portalès, ministre de la guerre, passait une dernière revue, lorsque le complot éclata. Quatre compagnies sortirent des rangs et forcèrent le ministre à remettre son épée. La stupeur fut telle en ce moment, que personne ne bougea. Une révolution était faite. Heureusement les discordes civiles ne peuvent durer longtemps au Chili. Bientôt un grand nombre de désertions affaiblit le parti des révolutionnaires, qui avaient pour chef le colonel Vidaurre. Celui-ci fit néanmoins intimer avec menace à Valparaiso l’ordre de se rendre, et marcha sur la ville, entraînant à sa suite le ministre captif. Le gouverneur de Valparaiso se mit aussitôt en campagne, aidé par le général Blanco et encouragé par l’opinion publique. Le chemin qui mène de Valparaiso à San-Iago se resserre à un certain endroit entre les montagnes qui le dominent et la mer. C’était une position facile à défendre. Les gardes nationaux et quelques forces légères maritimes se postèrent en ce lieu, décidés à disputer vaillamment le passage aux troupes du colonel Vidaurre. Déjà ces troupes s’approchaient. La nuit qui était venue, nuit d’hiver au Chili[1], allait voir s’accomplir un terrible drame. À l’arrière-garde du corps de Vidaurre s’avançait un birlocho[2] bien escorté. Quand les premiers pétillements de la fusillade annoncèrent que les avant-postes avaient entamé l’action, le birlocho s’arrêta. Un homme en descendit enveloppé de son manteau et marcha résolûment jusqu’au bord du chemin. Une détonation retentit, et l’homme tomba. Bientôt les premières lueurs de l’aube éclairèrent le champ de bataille, et les gardes nationaux victo-

  1. On était en juin, c’est-à-dire dans la mauvaise saison, qui dure d’avril à septembre.
  2. Sorte de cabriolet.