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ses pensées. Quand il parle, ce qui est rare, sa phrase est souvent ampoulée, emphatique. Dans les salons de Valparaiso, où se rencontrent des citoyens de toutes les républiques du sud, le caractère du Chileno ressort mieux encore par les contrastes que multiplie la réunion de types si divers. L’Argentino réfugié est le Polonais de l’Amérique méridionale ; le Peruano en est le Parisien. Le premier a la parole élégante, il intéresse, émeut, entraîne son auditoire ; quelquefois sa phrase est incisive, et l’on y reconnaît le cri d’un cœur ulcéré. La causerie du second est charmante, l’esprit y pétille, la saillie s’y épanouit, et la moquerie y revêt une forme séduisante. Le Peruano abuse de cette facilité d’élocution ; il retourne sous toutes ses faces une question sérieuse, et, lorsqu’il en a découvert le côté burlesque, ne se fait pas faute de l’exploiter. Quant au Chileno, il prétend être l’Anglais de l’Amérique du Sud. Le sentiment national qui l’anime, l’instinct mercantile qui distingue particulièrement l’habitant de Valparaiso, son goût du confortable, l’adoption rapide des usages britanniques, et le peu de sympathie du peuple en général pour les Français, semblent, autoriser cette prétention ; mais, en étudiant de près la vie domestique du Chileno, on arrive à reconnaître qu’il tient plus du Hollandais que de l’Anglais. L’éducation toute française que l’on donne aujourd’hui à la jeunesse n’est guère d’accord avec les préjugés de ses pères, et il faut espérer qu’elle pourra les combattre. Tout en rendant justice à la génération qui l’a précédée, aux efforts glorieux qui ont assuré l’indépendance du pays, la jeunesse chilienne saura étudier les idées françaises d’un point de vue moins étroit et surtout moins hostile.