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bannie, reparaît timide d’abord, puis enfin triomphante, la couronne au front et saluée par de nombreux bravos. Des jours gaiement remplis succèdent aux danses nocturnes. Ce sont des promenades sur l’eau, des visites aux navires étrangers. Des cavalcades joyeuses traversent les rues, amazones en tête, voiles et chevelures au vent, éclairs dans tous les yeux, sourires sur toutes les lèvres : on court chercher l’ombre à plusieurs lieues de la ville, on se rend à Villa la Mar, à la Quebrada verde. Jamais mieux que durant ces quelques semaines entièrement consacrées aux fêtes et aux distractions élégantes on ne comprend l’attrait qu’a toujours eu Valparaiso pour les voyageurs et les marins de toutes les nations. Comment quitter d’ailleurs sans regret cette ville amie du plaisir, cette ville où le Français lui-même échappe à ces vagues et maladives aspirations vers la terre natale, symptômes nostalgiques si communs chez nos compatriotes après quelques années passées sous un ciel étranger ?

Malheureusement le climat de Valparaiso, est perfide ; des journées de deuil et de tristesse succèdent aux nuits de fête. Les tourmentes, les tremblements de terre, affligent tour à tour cette partie du Chili. Le vent du sud et le vent du nord sont redoutés à Valparaiso comme d’implacables ennemis. L’un vient de terre et soulève une poussière fine et brûlante qu’il porte au loin comme un brouillard sur les navires ; l’autre vient de la mer et pousse d’énormes vagues vers le rivage. Quand le premier de ces vents souffle (ce qui arrive presque tous les jours durant l’été), la ville se voile d’un nuage doré, la mer se couvre d’écume. Braver ce khamsin, se rendre à pied du Puerto à l’Almendral à travers les flots d’une poussière fine et pénétrante comme du tabac d’Espagne, c’est une action presque comparable à celle de Léandre traversant l’Hellespont à la nage. Le vent du sud se déclare vers midi, et, pendant qu’il règne, le ciel conserve un azur irré-