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but, celui de témoigner à l’étranger combien sa présence est agréable. Si elles faisaient naître en lui d’autres idées, l’avenir lui apporterait de singuliers mécomptes : À Valparaiso comme dans tous les pays espagnols, cet abandon gracieux, cette absence de toute pruderie, ne font qu’ajouter plus de charme aux relations du monde ; ils n’ont aucune influente pernicieuse sur les mœurs.

Ordinairement les hommes fument en présence des femmes des cigares et des cigarettes ; mais, aussitôt que le personnel d’un salon devient nombreux et que la réunion prend les allures d’une tertulia, les fumeurs sont relégués dans une pièce voisine, où l’on dispose pour eux des rafraîchissements sur un dressoir. L’ameublement d’un salon chileno ne diffère point, quant aux meubles, de celui d’un salon français ; seulement l’art du tapissier ne s’est pas encore naturalisé à Valparaiso. On y rencontre peu de glaces et de draperies. Dans les habitations de la classe inférieure, quelques tabourets, des nattes sur le sol ou sur les carreaux du parquet, une malle peinte couverte d’oiseaux prodigieux qui becquètent des fleurs imaginaires, un fil drapé avec une prétention des plus provoquantes, composent tout le mobilier. Le seul ornement de la cloison, blanchie à la chaux, est un bénitier avec un rameau de Pâques passé en sautoir ; le seul objet de luxe est une viguela (guitare) : Dans le salon du riche, le piano a usurpé la place de la viguela. Or, cet instrument de musique n’est pas, comme souvent en France, un vain ornement ; il est en quelque sorte indispensable. Dans ces tertulias quotidiennes, où le champ des conversations est fort limité ; on n’attend pas toujours que la causerie languisse pour avoir recours à la musique. À peine êtes-vous assis même pour la première fois dans un salon, que les femmes vous adressent cette question : Sabè usted tocar, señor ? Cette phrase veut dire, suivant le lieu où l’on se trouve : Savez-vous jouer du piano ? Savez-