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pourpoint, on affecte de n’y pas croire, et celui qui l’a lancée est traité d’embustero, adjectif espagnol qui désigne ce mélange de gentillesse et d’hypocrisie dont le Chérubin de Beaumarchais est la personnification poétique. On pardonne pourtant à l’embustero ses escapades ; mais, si elles se renouvellent, on découvre vite aux pieds de quelle niña il dépense ses heures. Les femmes lui font alors une petite moue pleine de charme, et laissent tomber, toute remplie des reproches amers de leur cœur, cette seule parole : Ingrato !

Le mot de señora (madame) semble au Chili exclu des conversations. Les plus vénérables matrones se font toujours appeler señorita (mademoiselle). L’apellido (nom de famille), rarement usité, ne sert qu’à désigner les absents ; on ignore même parfois le nom des étrangers. Le nom de baptême (el nombre), traduit en espagnol et précédé du substantif honorifique don, est seul employé dans le dialogue ordinaire. La soudaine métamorphose du nom cause de prime-abord un singulier étonnement, surtout si, par exemple, l’on a saint Jean pour patron. En effet, don Juan, au point de vue de la beauté, de l’élégance et de la bravoure, est devenu pour nous un type complet ; or, l’individu chétif, mal tenu et laid, qui s’entend baptiser tout à coup de ce nom formidable, se trouve aussi embarrassé que si on l’affublait à l’improviste de la panoplie colossale de quelque ancien preux.

L’étranger peu familiarisé avec les habitudes des Chilenas pourrait souvent tirer de la franchise de leurs ojeadas, et d’une assez grande liberté de paroles, les conclusions les plus caressantes pour son amour-propre. Tantôt c’est une fleur qu’une jeune femme lui offre, après l’avoir arrachée à l’édifice de sa chevelure, tantôt elle partage avec lui un pastelito (petit gâteau), où bien elle lui présente le vase de mathé à moitié vidé et la bombilla humide encore de la pression de ses lèvres roses. Toutes ces gracieusetés ont un seul et unique