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de bon aloi, si peu déconcertant, qu’après l’avoir provoqué, on s’empresse d’y prendre part. Disons en passant que, si rien n’égale la patience stoïque du Chilien quand il s’agit d’écouter la conversation d’un étranger, rien n’égale non plus l’assurance du Français à parler une langue qu’il estropie. Heureusement il y avait chez nos hôtes assez d’indulgence et d’aménité pour nous pardonner une faiblesse nationale, et dès la première entrevue, nous étions parmi eux comme d’anciennes connaissances quand on servit le mathé.

Le mathé est une herbe originaire du Paraguay, où elle se nommait aussi herbe de saint Dominique. Si l’on en croit la tradition, le saint visita cette contrée, et, satisfait sans doute de sa visite, il voulut y consacrer, par un miracle utile, le souvenir de son passage. Or, ne trouvant rien de mieux à faire, il convertit les propriétés vénéneuses d’une herbe fort commune dans le pays en qualités bienfaisantes et salutaires. Le mathé fut dès lors en grand usage au Paraguay, il devint le dictame, la panacée universelle : bientôt la renommée de cette plante se répandit dans toute l’Amérique du Sud, où le mathé fait depuis ce temps les délices des tertulias.

Le mathé se prépare à peu près comme le thé, mais on boit cette infusion d’une façon toute pittoresque. Le vase affecté au mathé est de forme ovoïde, enrichi de filigranes et monté sur un pied ciselé. L’ouverture du vase est étroite, néanmoins elle peut donner passage à une bombilla, ampoule grosse comme une noisette, soudée à l’extrémité d’un tube. Cet appareil est ordinairement en or ou en argent chez les riches, en bois ou en terre chez les pauvres. On introduit dans le vase une pincée de feuilles de mathé, un morceau de caramel, quelquefois des épices, et on le remplit avec de l’eau bouillante. La bombilla plonge dans cette mixture, dont on aspire à petites gorgées, par l’autre extrémité du tube, toute la partie liquide.

Le jeu de cet instrument nous parut d’une simplicité pri-