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nombre considérable des voyageurs, en nécessitant de sages restrictions, ont rendu l’intimité plus difficile et l’hospitalité moins banale, surtout chez les principaux habitants de la ville. Néanmoins ces vertus primitives, qui rendent le séjour de Valparaiso si cher aux étrangers, se conserveront longtemps encore dans le cœur des Chilenos, car ils les pratiquent sans la moindre contrainte, et ils y voient bien plus un plaisir qu’un devoir.

Un des officiers de notre marine royale, auquel une station de plusieurs années sur les côtes du Chili avait donné droit de bourgeoisie à Valparaiso, avait bien voulu nous introduire chez l’un des notables habitants de l’Almendral. Quand nous entrâmes dans le salon, le dueño de la casa (maître de la maison), qui aspirait avec une singulière expression de sensualité la fumée d’un puro, se leva, vint à nous, écouta nos noms, prononça avec une gravité toute castillane la formule d’usage : La casa esta à la disposition de ustedes, caballeros, formule qui, cette fois, avait une tout autre acception que dans les quebradas, et après nous avoir touché la main, il reprit sa place en soufflant par les narines deux jets d’une fumée retenue captivé depuis notre arrivée. La maîtresse de la maison ratifia avec une grâce charmante l’offre hospitalière que venait de nous faire son mari, et à partir de ce moment, nous ne sommes jamais entrés dans cette maison sans y trouver l’accueil poli des premiers jours, uni bientôt au charme de la plus affectueuse cordialité.

Le caractère peu expansif des hommes ne leur permettait pas de s’écarter avec nous d’une certaine réserve ; nous rencontrâmes au contraire chez les femmes un sans-façon qui, de prime-abord, nous surprit et nous eût inquiétés, s’il n’avait été compensé par toutes sortes d’adroites prévenances. Nos premiers bégayements dans cette langue espagnole si féconde en équivoques déterminaient quelquefois le rire, mais ce rire