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dentale de la ville, couvre une plaine que l’on nomme l’Almendral (lieu des amandiers). La hauteur inégale des trois cerros du Puerto les a fait baptiser de noms anglais, qui signifient hune de misaine, grand’hune et hune d’artimon. Les étrangers ne les connaissent guère que sous cette désignation hérétique, et ignorent pour la plupart leurs véritables noms chrétiens de San-Francisco, San-Augustin et San-Antonio.

C’est au Puerto que la ville se montre sous un de ses plus étranges et de ses plus sinistres aspects. Entre les trois cerros s’étendent des ravins nommés quebradas. Rien n’est plus misérable que les habitations entassées dans ces quebradas, rides profondes de la montagne, où fermentent toutes sortes de débris impurs. Les maisons, basses et hideuses, collées par un côté au sol, soutenues par l’autre sur des pieux disposés en béquilles, grimpent désordonnées, sans souci du voisinage. Ici une, porte s’ouvre sur un toit ; une cheminée vomit des torrents de fumée noire dans une fenêtre ouverte ; là, des cordes tendues supportent des haillons, d’affreuses guenilles ; enfin des sentiers tortueux, rompus et seulement indiqués par l’usage, quelques planches étroites et vacillantes, conduisent à certains bouges où les chauves-souris et les lazzaroni de Valparaiso peuvent seuls pénétrer la nuit. Cette partie de la ville est pourtant l’eldorado des matelots étrangers. Il y a peu d’années encore, l’orgie débraillée y hurlait sans crainte, car la police montrait à l’endroit des quebradas une extrême circonspection ; plus d’un cadavre retrouvé au fond des ravins lui avait appris ce qu’il en coûtait de vouloir soumettre ces quartiers maudits à l’action de la force publique. Quant aux matelots, ce qui les entraîne vers les quebradas, est-il besoin de le dire ? Partout où il existe une ouverture, porte ou fenêtre, on peut apercevoir, assise sur le seuil de l’une, accroupie sur la devanture de l’autre, quelque niña au visage