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une chaîne de collines pelées s’éloignait graduellement du rivage en inclinant vers le nord-ouest sa croupe onduleuse et monotone ; plus loin, dans la même direction, derrière un amphithéâtre de montagnes, la Cordillère des Andes dressait vers le ciel un entassement de pics neigeux. Des cactus, des arbrisseaux épineux, grêles, disgraciés, qui semblaient croître à regret, mouchetaient de leur vert sombre les hauteurs voisines, et ajoutaient encore à l’aspect désolé du paysage. Sur le rivage s’étendait la ville toute couverte de poussière ; l’une de ses extrémités escaladait trois collines ou cerros, l’autre se développait à l’aise dans la plaine. Une rue étranglée serpentait à la base de la montagne, établissant, comme une artère, la circulation entre la ville haute et la ville basse. Enfin, parmi toute sorte de constructions, dont les teintes grises et rouges se confondaient avec celles du sol, deux monuments neufs étalaient des murs d’une blancheur immaculée ; le soleil faisait étinceler sur le premier une croix, c’était l’église ; un caducée surmontait le second, c’était la douane.

Un canot se rendait à terre ; nous nous y précipitâmes avec cette impatience fiévreuse à laquelle on est toujours en proie après une longue navigation. Nous passâmes au milieu d’une foule de navires marchands qui, venus là de tous les points du monde, chacun paré de ses couleurs nationales, croisaient en un réseau inextricable leurs mâts, leurs vergues et leurs chevelures de cordages, et nous débarquâmes sur un môle de bois, construit en forme de flèche pour mieux résister à la houle que le vent du nord pousse au rivage. La place de la douane, ouverte du côté de la mer, présente cette activité, cette agitation bruyante qui dénote d’importantes et nombreuses transactions commerciales : ce ne sont que piles de ballots sanglés et plombés, futailles de toute forme et de toute grandeur, vastes caisses étrangement peintes et semées de caractères baroques, œuvre laborieuse d’un pinceau chinois.