Page:Radiguet - Souvenirs de l’Amérique espagnole, 1856.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

successeur, suivant une coutume fort répandue parmi les vice-rois du Pérou, se garda bien de terminer une œuvre dont il n’avait pas eu l’idée, et qui eût pu contribuer à la gloire d’un de ses prédécesseurs.

Quelques mots de cette Perricholi, la Péruvienne la plus populaire après sainte Rose, trouvent naturellement leur place dans une esquisse des gens de medio pelo.

L’enfance de Mariquita Villegas, — c’est son nom chrétien, — est perdue dans les brouillards qui enveloppent d’ordinaire les débuts d’une vie de bohême. On sait seulement qu’elle apparut sur la scène du Coliseo vers 1760, dans le radieux éclat de la jeunesse, de la beauté et du talent, et que le public l’entoura de sa plus enivrante idolâtrie. Le vice-roi de cette époque, l’un de ceux qui ont le plus contribué à la magnificence de Lima, don Antonio Amat, qui, malgré sa maturité avancée, avait une de ces âmes d’artistes fatalement dévolues à une impérissable jeunesse, vit la belle Mariquita, sentit fondre aux ardeurs tropicales de sa prunelle les glaces de son âge, et déposa à ses pieds son cœur, ses trésors et sa fierté d’hidalgo. Mariquita prit en vraie Liménienne tout ce qu’on lui offrait, et remplit la ville des rois de son faste insolent et de ses folles prodigalités. Jalouse de venger sur la personne du plus grand dignitaire de l’État le mépris et les insultes dont l’orgueil espagnol abreuvait ceux de sa caste, chacune de ses faveurs devenait le prix des plus capricieuses exigences. Une nuit, elle obligea son royal amant à descendre dans un négligé des plus simples (de camisa) vers la plaza Mayor pour puiser à la fontaine un verre d’eau, la seule qui pouvait en ce moment étancher sa soif.

Une autre fois, soupçonnant, entre deux baisers, que ses mules favorites n’avaient point eu leur provende accoutumée, elle se hérissa des farouches résistances de la vertu, et, cette fois encore, Amat dut se rendre aux écuries du palais pour contrôler le