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vous la verrez tour à tour prendre le masque extatique de la sainte et l’expression ardente et impétueuse des courtisanes, et passer des sacrements aux folles voluptés. — Ces deux éléments du caractère des Liméniennes, ce mélange de sensualisme et de dévotion devaient néanmoins se séparer un jour, et s’individualiser pour ainsi dire, en deux personnes également célèbres, bien qu’aux titres les plus divers : l’une, dont la vie fût entièrement consacrée à la prière, à la pénitence, à tous les dévouements, et qui réunît les divines perfections de l’âme qui font la sainte ; l’autre, avide d’élégance, de luxe, d’ostentation, résumant toutes les tendances de l’esprit et les dangereuses perfections du corps qui entraînent dans les voies fatales : j’ai nommé sainte Rose, patronne de toutes les Amériques, canonisée en 1671 ; et la comédienne Mariquita Villegas, plus populaire sous le nom étrange de la Perricholi.

Tels sont les traits généraux du caractère des Liméniennes. Je n’ai plus qu’un mot à ajouter pour tenir en garde le lecteur contre les suppositions que pourraient, au premier abord, faire naître dans l’esprit quelques-unes de mes assertions sur la société au Pérou et au Chili. Si je n’avais eu en vue de peindre que la haute société, ma tâche eût été promptement remplie, tant cet élément se ressemble partout. À Valparaiso, elle est tellement européanisée aujourd’hui par son frottement avec les étrangers et par ses tendances spéculatrices, qu’on y démêlerait à grand’peine d’autre individualité que celle du positivisme britannique ; à Lima, elle offre un mélange aimable de ce qu’on glanerait de meilleur à Paris et à Madrid, fondu avec un je ne sais quoi de naturellement