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surgir parmi les demeures plates et mystérieuses des climats orientaux, des édifices de la renaissance, des clochers des deux derniers siècles, et des maisons anglaises qui, construites en forme de lanternes, sont loin d’être magiques.

Comme on le voit, sans répudier d’anciens usages, Lima en a adopté de nouveaux, de sorte qu’il ne serait pas exagéré de dire que plusieurs siècles vivent côte à côte dans cette ville étrange, sans trop se heurter.

Un détail de ces mœurs bizarres sur lequel je ne saurais, pour ma part, trop insister, c’est l’excessive liberté des femmes et la place qu’elles tiennent dans la société au Pérou. Les femmes règnent à Lima en véritables souveraines, et semblent avoir puisé à la position qu’elles ont conquise la conscience exagérée d’une valeur qui, jointe à toutes sortes de séductions, leur permet d’étendre parfois leur action dominatrice par delà les confins de la vie privée. On les trouve souvent mêlées aux intrigues politiques, mais si l’on en cite qui ont joué dans les affaires de l’État un rôle actif, énergique, prépondérant ; il en est bien plus encore dont la folle et mesquine vanité a exercé une triste influence sur des chefs à l’esprit faible et irrésolu.

La Liménienne insoucieuse vit avec l’espérance, et se contente du présent pourvu qu’il s’y trouve quelques paillettes ramassées au ruisseau qui charrie l’or ou égrenées de la bourse du riche ; elle est passionnée, spirituelle, folâtre, sensible, sans autre besoin sérieux que celui de charmer, béate à la fois et déréglée ; alliant, sans la moindre gêne, avec une incroyable élasticité de conscience, les charges de ses tendances illicites et les pratiques de la religion,