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server un souvenir poétique plutôt que de se surcharger la mémoire des calculs d’une statistique transcendante.

Ceci posé, on comprendra que Lima, la capitale du vaste territoire qui, sous le nom de Pérou, comprenait au temps de la domination espagnole la plupart des petits États républicains de la côte occidentale de l’Amérique du Sud, ait offert un champ plus vaste à des études que les devoirs de ma place m’obligeaient à circonscrire dans un certain rayon. Il me semble donc nécessaire, puisque cette ville a plus particulièrement fixé mon attention, d’entrer à son sujet dans quelques détails, afin de préparer le lecteur à rejeter la faute des assertions ou des jugements qui pourraient lui sembler contradictoires, sur les bizarreries d’une société qui se révèle à l’observateur sous les aspects les plus contraires : pleine de charme entraînant, auquel on s’abandonne pour peu qu’on soit doué du moindre sentiment artistique ; pleine de tristes enseignements, si on l’envisage avec la raison froide et sévère.

Lima est peut-être la seule grande ville de l’Amérique du Sud qui conserve encore de nos jours des mœurs, des costumes, des formes d’architecture qu’on ne trouve point ailleurs, pas même dans le port si voisin de Callao. — L’affluence des étrangers qui sont venus y exploiter l’intarissable filon de la prodigalité péruvienne, les idées philosophiques arrivées sur les pas d’une révolution qui brisait leurs entraves, et l’éducation libérale qui de jour en jour se répand dans les classes aisées ont peut-être réformé certains penchants, modifié certaines habitudes ; mais il existe toujours au cœur de la société liménienne de vieux germes qui poussent dans tous ses membres une séve vi-