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exotiques nous ait fait éprouver l’impression de navrante pitié, mais aussi de dégoût et d’horreur, que nous avons ressentie chaque fois qu’aux abords d’une fête bretonne, il nous a fallu traverser la double haie de misérables offrant le spécimen des maux les plus révoltants et des plus étranges laideurs. — Il y avait là des gueux singeant sans y prendre garde, les fantaisies de Callot et les incroyables caprices de Goya. Les uns avaient le corps çà et là entortillé de loques et de lambeaux si désunis, que, déposés un instant, par leur possesseur, leur usage serait devenu énigmatique même pour le truand le plus ingénieux. Un autre, couché sur une paillasse qui crevait de toute part, avançait vers les passants une jambe phlogosée et rongée par un ulcère comme une bûche par le feu. Un aveugle au visage couturé, plissé, criblé de trous comme un dé à coudre, roulait des yeux semblables à des billes d’agate blanche, et sa bouche sans lèvres s’ouvrait hérissée de dents farouches et désordonnées ; enfin un idiot jaune-citron poussait des cris bizarres et saupoudrait de poussière son crâne chauve et pointu, près d’un cul-de-jatte qui, juché sur un escabeau, défiait en laideur les plus grimaçantes idoles de l’Océanie. Toutes les mains tendaient suppliantes des sébiles de bois ou des coquilles de Saint-Jacques, toutes les bouches répétaient sur des tons étranges les dolentes formules bretonnes de la mendicité, et des voix aiguës chantaient d’interminables noëls, que des voix grondeuses comme celles de la contre-basse accompagnaient en psalmodiant des prières suivant la coutume du pays.

Après avoir assisté à la messe, au dépôt des offrandes au pied de l’autel, à la procession des chevaux dans le cime-