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froidi le zèle des jeunes quêteurs, qui, ne s’attendant plus à recueillir dans cette vie le prix de leur bonne action, ont peu à peu déserté le cortége. Les tirelires sont aujourd’hui portées à domicile un mois à l’avance, et ce sont des enfants de l’âge le plus tendre qui, conduits par une gouvernante, vont recevoir les offrandes pécuniaires. Les mères saisissent le prétexte de ces visites pour attifer leur progéniture, et ces bambins, étonnamment précoces, devinent et exploitent la tradition de leurs devanciers : nous en avons déjà vu se récrier quand, après avoir reçu l’aumône pour les pauvres, ils ne percevaient pas pour eux-mêmes quelques friandises.

Personne ne se trouve donc lésé par ce changement, personne, excepté certains rêveurs qui s’inquiètent de ce que deviennent les vieilles coutumes, comme François Villon s’inquiétait « des neiges d’antan », et Henri Heine, des vieilles lunes ; — ou bien encore quelques esprits moroses, qui trouvent un intérêt fort médiocre aux innovations destinées à remplacer, dans un but identique, les anciens usages populaires, toujours si poétiquement colorés. Ceux-là voient avec tristesse disparaître ces fêtes de leur jeunesse, et songent dans leur cœur à cette ballade d’un barde du pays de Cornouailles, où l’on représente le Breton berçant avec des pleurs, la nuit, sur les montagnes, la poésie de son pays, morte et ensevelie dans un coffret d’ivoire et d’or : comme un père qui, devenu fou de douleur, berce bien longtemps encore le cadavre de son enfant bien-aimé.