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Ma gourmandise à moi prenait une forme inédite. Je n’avais aucune faim pour la tarte, la glace à la framboise, mais souhaitais être tarte et glace dont elle approchât sa bouche. Je faisais avec la mienne des grimaces involontaires.

Ce n’est pas par vice que je convoitais Svéa, mais par gourmandise. Ses joues m’eussent suffi, à défaut de ses lèvres.

Je parlais en prononçant chaque syllabe pour qu’elle comprît bien. Excité par cette amusante dînette, je m’énervais, moi toujours silencieux, de ne pouvoir parler vite. J’éprouvais un besoin de bavardage, de confidences enfantines. J’approchais mon oreille de sa bouche. Je buvais ses petites paroles.

Je l’avais contrainte à prendre une liqueur. Après, j’eus pitié d’elle comme d’un oiseau qu’on grise.

J’espérais que sa griserie servirait mes desseins, car peu m’importait qu’elle me donnât ses lèvres de bon cœur