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Alors que Marthe trouvait maintenant dans sa grossesse une raison pour que je ne la quittasse jamais, cette grossesse me consterna. À notre âge, il me semblait impossible, injuste, que nous eussions un enfant qui entraverait notre jeunesse. Pour la première fois, je me rendais à des craintes d’ordre matériel : nous serions abandonnés de nos familles.

Aimant déjà cet enfant, c’est par amour que je le repoussais. Je ne me voulais pas responsable de son existence dramatique. J’eusse été moi-même incapable de la vivre.

L’instinct est notre guide ; un guide qui nous conduit à notre perte. Hier, Marthe redoutait que sa grossesse nous éloignât l’un de l’autre. Aujourd’hui, qu’elle ne m’avait jamais tant aimé, elle croyait que mon amour grandissait comme le sien. Moi, hier, repoussant cet enfant, je commençai aujourd’hui à l’aimer et j’ôtais de l’amour à Marthe,