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Quand je ne couchais pas chez Marthe, c’est-à-dire presque tous les jours, nous nous promenions après dîner, le long de la Marne, jusqu’à onze heures. Je détachais le canot de mon père. Marthe ramait ; moi, étendu, j’appuyais ma tête sur ses genoux. Je la gênais. Soudain un coup de rame, me cognant, me rappelait que cette promenade ne durerait pas toute la vie.

L’amour veut faire partager sa béatitude. Ainsi, une maîtresse de nature assez froide devient caressante, nous embrasse dans le cou, invente mille agaceries, si nous sommes en train d’écrire une lettre. Je n’avais jamais tel désir d’embrasser Marthe que lorsqu’un travail la distrayait de moi ; jamais tant envie de toucher à ses cheveux, de la décoiffer, que quand elle se coiffait. Dans le canot je me précipitais sur elle, la jonchant de baisers, pour qu’elle lâchât ses rames, et que le canot dérivât, prisonnier des