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quai un gentilhomme qui me parut épris de mon épouse ; mais j’ignorais les sentiments de celle-ci à son égard. Quoiqu’il en soit, ma fureur, juste ou non, devait lui être fatale. Un soir que je rentrais chez moi, on me dit que ce gentilhomme était avec ma femme. Je me glissai jusqu’à la porte vitrée, d’où l’on pouvait voir l’appartement de ma femme. Le traître était à ses pieds ! Je ne sais si elle voulait le repousser ou si elle avait entendu mes pas ; mais je la vis se lever. Aussitôt, sans m’arrêter à chercher ou à demander une explication, je saisis mon stylet et je m’élançai dans la chambre, décidé à percer le cœur de mon rival. Il eut le temps de s’échapper dans le jardin et je ne le revis jamais.

— Et votre femme ? lui demandai-je.

— Elle reçut le coup de poignard destiné à celui qui l’aimait, me répandit le pénitent.

Et maintenant, mes révérends pères, ajouta le pénitencier Ansoldo, jugez de ce que je dus ressentir à cet aveu ! L’amant de la femme qu’il venait, se confesser à moi d’avoir assassiné… c’était moi !

Un mouvement d’horreur parcourut la salle.

— Était-elle innocente ? s’écria Schedoni, comme emporté malgré lui.

Au son de cette voix, le pénitencier se tourna vivement de son côté. Il y eut un moment de silence pendant lequel il tint les yeux fixés sur lui, avec étonnement et horreur. À la fin, il éleva la voix et prononça, solennellement :

— Oui, elle était innocente.

Schedoni, après cette vive interpellation qui lui était échappée, avait repris son calme apparent. Un murmure s’éleva parmi les membres du tribunal, et l’inquisiteur ordonna au greffier de prendre note de la question imprudente de Schedoni. Puis, s’adressant au père Ansaldo :

— La voix que vous venez d’entendre, lui dit-il, rappelle-t-elle à votre oreille celle de votre pénitent ?

— Je pense que c’est la même, répondit Ansaldo, mais je n’oserais l’affirmer sous serment.