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leurs climats brûlants les Africains domptés,

Faisaient taire les lois devant ses volontés.

Que suis-je? J'attends tout du peuple et de l'armée.

Mes malheurs font encor toute ma renommée.

Infortuné, proscrit, incertain de régner,

Dois-je irriter les cœurs au lieu de les gagner?

Témoins de nos plaisirs, plaindront-ils nos misères?

Croiront-ils mes périls et vos larmes sincères?

Songez, sans me flatter du sort de Soliman,

Au meurtre tout récent du malheureux Osman:

Dans leur rébellion, les chefs des janissaires,

Cherchant à colorer leurs desseins sanguinaires,

Se crurent à sa perte assez autorisés

Par le fatal hymen que vous me proposez.

Que vous dirai-je enfin? Maître de leur suffrage,

Peut-être avec le temps j'oserai davantage.

Ne précipitons rien, et daignez commencer

A me mettre en état de vous récompenser.

Roxane

Je vous entends, Seigneur. Je vois mon imprudence;

Je vois que rien n'échappe à votre prévoyance;

Vous avez pressenti jusqu'au moindre danger

Où mon amour trop prompt vous allait engager.

Pour vous, pour votre honneur, vous en craignez les suites,

Et je le crois, Seigneur, puisque vous me le dites.

Mais avez-vous prévu, si vous ne m'épousez,

Les périls plus certains où vous vous exposez?

Songez-vous que sans moi tout vous devient contraire,

Que c'est à moi surtout qu'il importe de plaire?

Songez-vous que je tiens les portes du palais,

Que je puis vous l'ouvrir ou fermer pour jamais,

Que j'ai sur votre vie un empire suprême,

Que vous ne respirez qu'autant que je vous aime?

Et sans ce même amour qu'offensent vos refus,

Songez-vous, en un mot, que vous ne seriez plus?

Bajazet

Oui, je tiens tout de vous; et j'avais lieu de croire

Que c'était pour vous-même une assez grande gloire,